Corrompu, voleur, mendiant, pauvre, autant
d’adjectifs qui dressent, si maladroitement, si rapidement, si malheureusement
le portrait du Roumain d’aujourd’hui. Encore
plus s’il vit à l’étranger, encore plus s’il est résigné à une étiquette
irrémédiable à laquelle il ne saurait se soustraire. Un champ lexical
angoissant invitant presque à une remise en cause existentielle de soi, à un
questionnement profond sur son sort maudit, si répandu dans la psychologie
populaire roumaine. Le Roumain est-il réellement maudit de naissance, condamné
à porter ce lourd héritage d’un passé qui ne passe toujours pas ? Car en
1945 lorsque Staline et Churchill se partageaient l’Europe à Yalta, la Grèce
revenait à l’Occident et la Roumanie, quant à elle, était contrainte à un
destin impossible à contourner. Un demi-siècle de rude communisme dont elle
était encore loin d’en mesurer la portée. « L’enfer c’est les
autres » mais quand les autres me jettent en enfer, n’est-ce finalement pire ?
25 ans après la chute du communisme il reste, très
clairement, beaucoup à faire pour rattraper les grandes démocraties
occidentales. Mais ce n’est ni en constamment remettant en cause l’adhésion de
la Roumanie à l’Union européenne en 2007, ni encore moins en questionnant son
destin européen (déjà toujours acquis) que les progrès les plus significatifs
se feront. Si l’adhésion a été réalisée, ce n’est ni par promesse, ni par pitié
et encore moins par encouragement. C’est pour les uns le retour à une Europe
unie, le rêve européen (re)trouvé, la soif d’une nouvelle page historique,
irréversible et démocratique enfin exprimée. C’est pour les autres la poursuite
d’un projet européen que les pères fondateurs voyaient se répandre au-delà des
six membres. Ce sont les retrouvailles d’une famille reportées par l’histoire.
Sans doute beaucoup mais pas trop. Car il n’est jamais trop tard de retrouver
l’autre, de l’aider, de s’intéresser à lui, de chercher à le comprendre, de
savoir qui il est réellement, au-delà des clichés, au-delà de son passé. Car il
vaut mieux tard que jamais.
Bien qu’elle demeure dans l’ombre et bien qu’il
faille garder à l’esprit son passé, l’histoire s’écrit au présent. La Roumanie, pays extrêmement riche aussi bien
matériellement que spirituellement, a été déchirée par un des régimes
communistes les plus rudes de toute l’Europe de l’Est. Economiquement suffoquée
à l’intérieur par un dictateur mégalomane obsédé par le remboursement en intégralité
de la dette extérieure du pays et culturellement inféconde avec un régime de
dissidence impossible à éclore et une intelligentsia partie se produire
essentiellement à Paris, la Roumanie n’a pratiquement eu aucune chance.
Condamnée et résignée, il ne lui restait qu'à survivre. Survivre au mieux,
survivre le moins indignement possible.
C’est pourquoi, aujourd’hui encore, il faut laisser
du temps au temps. Emil Constantinescu, ancien président de Roumanie, a
d’ailleurs raison de faire la distinction entre d’une part des institutions et
des pratiques démocratiques que tous les pays de l’Union européenne possèdent
par définition en accord avec les critères de Copenhague et d’autre part, une
culture politique de la démocratie. Et pour intégrer cette dernière, il faut certainement
laisser du temps aux mentalités qui ont besoin d’une autre génération pour se remodeler, changer de perspectives, retrouver des repères perdus. Car si on se
permet un bref rappel, la Roumanie adoptait en 1866 sa première constitution à
proprement parler – suite à l’Union des
principautés Roumaines – sans intervention extérieure et faisant ainsi le
premier pas vers la séparation des pouvoirs et l’obtention des droits et
libertés des citoyens dans la monarchie de Carol Ier de Hohenzollern. Où serait
politiquement la Roumanie aujourd’hui sans un implacable régime dictatorial qui
l’a plus que brièvement traversée et longuement marquée ? Ou serait la
Roumanie économiquement aujourd’hui si elle avait pu, elle aussi, bénéficier du
plan Marshall ? On ne saurait oser y répondre car l’histoire n’écrit pas
au conditionnel passé.
La Roumanie, on ne la connait pas ou très/trop peu
et souvent, hélas, ce n’est pas le pays vers lequel on tend naturellement en
premier lieu. Apparemment, l’histoire de ce pays commencerait et s’arrêterait
en 1989, à la télévision, avec une révolution. Généralement, on n’en sait pas
davantage car le vide a laissé passer les années. Si seulement ceux qui s’y
intéressaient étaient plus nombreux, si seulement on s’intéressait davantage à
ce pays, sans doute serions-nous très surpris...si seulement. Si seulement nous
étions plus nombreux à y faire un voyage, à lire un auteur Roumain d’expression
française, à écouter un compositeur Roumain peut-être découvririons-nous une
terre inconnue, un univers lointain et pourtant si proche. Si seulement...
8 ans après son adhésion, le statut de
« nouveau pays membre » semble obsolète, de sorte que la relation
avec la Roumanie mérite d’être envisagée à partir d’angles plus prometteurs
comme celui de garant de stabilité dans la région, comme partenaire économique
stratégique, comme corollaire de la francophonie, bref comme un espace riche en
potentiel de tous genres. Faire la part
des choses et garder le sens des proportions s’avère essentiel dans un monde où
les amalgames et les analyses réductionnistes hypothèquent la vraie nature des
problèmes ainsi que la diversité des opportunités pour tous ceux qui veulent
aller au-delà. Au-delà des clichés, des préjugés, pour une approche plus
ouverte, pour de nouvelles perspectives, pour un futur meilleur.
Un article signé Alexandra Marinescu
Etudiante à Sciences Po Paris, Master "Affaires européennes"
Etudiante à Sciences Po Paris, Master "Affaires européennes"
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